Se taire, c’est parler

Accompagner la maladie

© Steve Buissinne

Se tenir auprès de ceux qui souffrent est une mission de nature spirituelle dans laquelle l’écoute prend une part importante. Pour beaucoup de personnes, le silence est troublant et fait peur. Il est pourtant constitutif du dialogue.

Au téléphone, une cousine me donne des nouvelles de sa mère, qu’elle est allée voir récemment. « C’est dur, tu sais, elle ne parle plus vraiment, on tend l’oreille. Et puis il y a des grands moments de blanc, j’ai abordé tous les sujets alors je ne sais plus trop quoi faire, ça ne me donne pas tellement envie d’y retourner souvent, pourtant c’est ma mère ! Cela dit, elle a l’air plutôt bien, elle sourit même de temps en temps ».

La spiritualité de Bach

Évoquer Bach pour parler des temps de rencontre avec des personnes fragilisées peut paraître étonnant. Le compositeur a néanmoins soutenu la spiritualité protestante de deux manières : des harmonies qui élèvent l’âme et des silences qui invitent à la profondeur. On lui attribue souvent l’idée que le sens de la musique est aussi dans le silence entre les notes. Il en est de même dans un temps de rencontre ; la parole crée des harmoniques et une compréhension, le silence peut rejoindre les êtres en profondeur.

La peur du vide

Le silence n’est donc pas vide, il marque la place donnée à l’autre dans un espace qui ne se voit pas mais se ressent très bien, pour peu qu’on s’attache à l’écouter. La cousine au téléphone parlait de moments de blanc vécus comme des temps morts, mais aussi du sourire de sa mère qui « a l’air plutôt bien ». Sa perception a donc été plus fine que son analyse de la conversation des mots, comme si un autre dialogue se nouait entre les personnes indépendamment de ce qui est dit ou des gestes concrets. Chacun sait que tenir une main ou serrer quelqu’un dans ses bras relève de la communication, alors pourquoi ne pas aller plus loin dans ce registre non verbal et s’attacher au regard, au frémissement de la peau, aux sensations de tension ou de détente que l’autre laisse entrevoir  ? On peut même penser que la spiritualité se dit entre deux personnes d’une manière qu’on ne perçoit pas, comme le silence entre les notes. La peur du vide serait-elle une appréhension de la spiritualité profonde  ?

Accompagner la vie

Il arrive, lorsqu’on se trouve au chevet d’une personne en fin de vie, que le temps s’écoule en silence sans autres mots que ceux de la prière intérieure. Tout visiteur un tant soit peu habitué peut témoigner que pourtant l’atmosphère s’apaise et les personnes se détendent, alors même que le malade n’a pas forcément l’air conscient. Il se joue là un échange complexe qui dépasse toute compréhension mais peut être palpable. Un échange cela signifie la vie, une vie qui jusqu’au bout peut s’accompagner. Car la personne en situation extrême n’est pas un mourant, mais un vivant.

Peupler le silence

« L’Éternel gardera ton départ comme ton arrivée, dit le psalmiste, il gardera ton âme » (ou ton être, suivant les traductions du Ps 121). L’être humain a peut-être alors, par son écoute, vocation à devenir un garde de Dieu pour ses frères humains. Non pas un gardien du temple mais un lieutenant de Dieu, une présence silencieuse qui ne veut rien, ne fait rien mais laisse simplement passer à travers lui par le silence la présence de Celui qui garde.

Au temps de l’écoute, le silence est donc roi. Peut-être faudra-t-il, dans les familles et les paroisses, que ce silence puisse ne plus être vécu comme une absence de sens ou un vide, mais comme une présence différente. C’est un apprivoisement progressif mais essentiel à travers lequel se taire, c’est parler ensemble différemment.

David Steinwell

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