Au crépuscule

CINÉMA

Un film de Sharunas Bartas.
Sortie le 24 novembre 2021, 2h7.

À la lisière du documentaire et de la fiction, l’œuvre radicale et pessimiste de cet auteur lituanien n’est certes pas un cinéma de divertissement, mais les angoissantes questions existentielles et l’envoûtement sombre et désespéré qu’il déploie incitent cependant à le rencontrer.

Dans ce film, la scène se passe en 1948, dans un pauvre village lituanien écrasé par une occupation soviétique qui a pris dès la fin de la guerre le relais de celle des nazis. Pour conserver leur identité, de nombreux habitants qui ne voulaient ou ne pouvaient émigrer ont cherché à résister contre ce nouvel ordre en s’engageant dans un mouvement en réalité très hétérogène de partisans – vrais patriotes, propriétaires dépossédés, marginaux divers –, réfugiés loin des villes : les « Frères de la forêt ». Le propos du réalisateur – pour qui la tristesse est le plus authentique des sentiments – est d’évoquer ce douloureux pan d’histoire à travers les yeux candides d’un jeune adolescent, Unte. Celui-ci vit dans une ferme avec son père et découvre simultanément l’ambiguïté de sa propre filiation et l’ampleur des mensonges, des trahisons et des violences qu’engendre la situation politique.

Alors qu’il cherche à y voir plus clair dans ses origines et à vivre son engagement auprès des partisans, il va, déstabilisé par les non-dits de leurs comportements et la cruauté de la lutte, perdre définitivement son innocence. Plus que les méandres de la narration ou l’extrême sobriété des dialogues, c’est la mise en scène qui fait la puissance de ce film, et la grande beauté plastique des images qui font se répondre de gros plans de visages souvent éclairés à la bougie et des plans larges de paysages gris-vert enneigés. Dès le début nous sommes avec Unte immergés dans la vie farouche des partisans et leurs motivations contradictoires. La perception constante d’un danger imminent s’installe, nourrie par la lenteur du rythme et de longs plans fixes qui fouillent les regards et les réactions corporelles des personnages, véhicules privilégiés de leurs émotions.

Dans ce climat oppressant, le spectateur restera longtemps hanté par le visage meurtri et émouvant de ce jeune garçon, confronté à des paroxysmes de violence parfois insoutenables.

Jean-Michel Zucker

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