Du Temple aux temples

Le temple de Saintes (1906) © BY-SA 3.0

C’est l’importance du Temple dans les deux Testaments qui poussa les réformés français à adopter ce nom pour désigner leur lieu de culte, dans une fidélité biblique réaffirmée. Et cela, même si le terme d’église – dérivant du terme grec « ecclesia » assemblée – eût été théologiquement plus pertinent.

Le Temple, sanctuaire dont l’origine trouve ses racines dans les religions antiques du Proche-Orient, joua un rôle central pour le judaïsme, dans ses versions architecturales successives.

Les arts auditifs privilégiés

Dans le cas du protestantisme français d’emblée minoritaire, la volonté de se démarquer du catholicisme a pesé fortement, à la différence d’autres pays européens. Dans ce contexte français dont chacun sait le caractère conflictuel, des guerres de Religion au XVIe siècle, on peut donc s’interroger sur les choix architecturaux que firent pendant des siècles les communautés protestantes pour se doter de lieux de culte conformes à leurs besoins et leurs convictions.
Le culte protestant a dès l’origine privilégié les arts auditifs (parole et musique) sur les arts visuels (peinture et sculpture). Faites l’expérience : venez à un culte et fermez les yeux. Vous ne perdrez rien ou peu de chose. Bouchez-vous les oreilles : vous perdrez tout… Alors que la messe catholique mobilise infiniment plus les sens visuels, auditifs, olfactifs…
C’est aussi le choix d’une précarité : le culte n’est sacré que le temps de la réunion des fidèles, alors que la sacralité se maintient dans l’église catholique consacrée et détentrice du Saint Sacrement en l’absence des fidèles.
Est-ce à dire que les théologiens protestants se soient montrés indifférents à la question de l’architecture religieuse, puisque tout lieu où s’assemblent les fidèles est capable de servir au culte ? En fait non. Le rapport des protestants à l’architecture s’est organisé entre deux pôles de détermination.

Un refus des images et sculptures

Intérieur du temple de Poitiers © Dominique Coste

Le premier pôle serait celui de la théologie : il importait que le lieu de culte se démarquât nettement des “ déformations ” auxquelles la Réformation entendait apporter remède. L’exemple le plus marquant est le refus des images et sculptures dénoncées par le deuxième commandement et support de cultes secondaires – la Vierge, les saints, les reliques…- récusés par la Réforme parce que non fondés bibliquement. À quoi s’ajoutait le refus de toute confusion possible entre émotion artistique et émotion religieuse, ce qui avait été déjà le cheval de bataille de la “ réforme ” cistercienne bien avant les Réformateurs protestants du XVIe siècle.
Il importait aussi plus positivement que l’architecture manifestât les grandes affirmations de la Réforme, comme la transcendance exclusive de Dieu, l’autorité souveraine de la Bible ou le sacerdoce universel, c’est-à-dire le refus d’une séparation entre les pasteurs et les autres fidèles. La présence de la Bible ouverte, l’importance centrale de la chaire en hauteur, le choix d’une table de communion au lieu d’un autel, l’audace d’une disposition circulaire des fidèles (comme dans le temple du Paradis à Lyon au XVIe siècle) ou quadrangulaire, autant de tentatives pour concrétiser dans l’espace cette nouvelle façon de vivre sa foi chrétienne.

Un « recyclage » des églises

Le deuxième pôle serait celui de l’histoire et de la sociologie. Lorsque des régions entières de l’Europe ont basculé dans le protestantisme – via la volonté des princes -, une bonne part du patrimoine religieux catholique s’est trouvée convertie à un usage protestant sans autre grande modification que l’épuration de toute image ou statue : l’exemple le plus symbolique serait la cathédrale Saint-Pierre de Genève devenue temple majeur de la cité de Calvin. Idem en Allemagne ou en Scandinavie, dans un processus facilité par le fait que le luthéranisme avait moins poussé la rupture avec le catholicisme que le calvinisme. La France a connu ces réemplois d’églises, dans le contexte des guerres de Religion – elles sont généralement revenues à leur destination première mais un autre exemple – durable celui-là – de « recyclage » a été apporté par Napoléon qui n’a pas craint, lors du Concordat de 1802, d’affecter au culte protestant des églises catholiques inutilisées. Il existe donc par cette volonté impériale inattendue un œcuménisme architectural de fait entre protestantisme et catholicisme en France.

Une destruction quasi-totale des temples

L’autre fait historique a été le conflit inexpiable qui a provoqué en France la destruction de la quasi-totalité des temples édifiés au XVIe siècle et autorisés par l’Édit de Nantes. À l’exception de l’Alsace alors en cours d’annexion et du Pays de Montbéliard pas encore français, on compte sur les doigts d’une seule main les temples survivants d’avant le Révocation de 1685. Ce phénomène historique spécifique à la France a eu deux conséquences sociologiques paradoxales : d’une part l’application forcée du principe de la précarité ou de la discrétion protestante : culte clandestin, rassemblement au Désert dont le souvenir ému est très vif dans la mémoire protestante avec le rassemblement commémoratif cévenol chaque début septembre ; d’autre part, une très forte volonté de visibilité architecturale, quand le protestantisme a été restauré dans ses droits en 1789 et surtout en 1802 par le Concordat. D’où une prolifération de temples, notamment dans le croissant méridional du protestantisme français, surtout dans les régions rurales avec des lieux de culte pour des villages minuscules et qui vont se multiplier selon les nouvelles dénominations du protestantisme libéré. Cette réalité sociologique renvoie donc à la dimension communautaire du protestantisme, minorité définitive partagée entre discrétion et visibilité.
Deux pôles de détermination, l’un dicté par la théologie, l’autre par l’histoire des hommes. Bien des temples sont la résultante de ces deux influences et présentent une réalité architecturale de compromis.

Jean Loignon

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