Entre pouvoir et tyrannie

Méguilat Esther © Moché Pescarol

Grain de sable

Dans la mémoire des anciens de l’école biblique, le livre d’Esther est une petite histoire pleine de rebondissements et peut ressembler à un joli conte qui finit bien. Et pourtant…

L’histoire d’Esther a pu nous être racontée comme une aventure dans laquelle les humbles sont reconnus et mis à l’honneur tandis que les orgueilleux sont punis, pris à leurs propres pièges. En retournant à la source, le lecteur peut découvrir le jeu des rôles qui s’inversent.

Les protagonistes

Le premier des protagonistes à entrer en scène est le roi Xerxès. Il donne des banquets extraordinaires pour, dit-on : « montrer la glorieuse richesse de son règne et la rare magnificence de sa grandeur ». Il est tout-puissant mais pour toute décision importante, il s’en remet à l’avis de ses conseillers.
La deuxième c’est la reine Vachti qui sera bannie en un clin d’œil pour avoir refusé d’obéir au roi qui voulait « montrer sa beauté au peuple et aux princes ». Son bannissement servira, par déclaration royale irrévocable dictée par les bons conseillers du roi, à ce que les autres femmes ne l’imitent pas mais plutôt qu’elles honorent leur mari, qu’il soit le plus grand ou le plus petit. Sans la vigilance des bons et puissants conseillers, le refus d’obéir de Vachti aurait peut-être changé la vie des femmes d’au moins 127 provinces.
La troisième, c’est notre héroïne, Esther. Elle est belle et vierge comme les nombreuses jeunes filles du harem. Chacune d’elles s’apprête durant douze mois avant d’entrer un soir chez le roi puis d’être placée au matin dans un second harem en attendant d’être rappelée ou non. Esther devient reine.
Ensuite se présentent les deux protagonistes principaux. Il y a l’humble et droit Mardochée, Juif déporté de Jérusalem, tuteur de la nouvelle reine Esther et le puissant et méchant Haman.

Le gentil et le méchant !

À ce moment précis de la lecture, leurs traits et leurs comportements semblent conformes à leurs personnalités et à notre souvenir. Le courageux Mardochée refuse de se prosterner devant le puissant Haman. Haman pour se venger de cet affront ordonne par lettres, scellées par la bague à cachet du roi qu’il porte à son doigt, le génocide du peuple juif. Cet édit est envoyé aux cent vingt-sept provinces. Par celui-ci, on devait faire périr tous les Juifs, du jeune garçon au vieillard, les enfants comme les femmes.
Aidé par Esther qui organise la déchéance puis la pendaison d’Haman, Mardochée change de statut ou plutôt, il change du tout au tout. Il habite la maison du grand personnage déchu. Il porte des vêtements royaux, une couronne d’or et surtout le véritable objet du pouvoir : la fameuse bague à cachet du roi. Occupant pleinement la place de feu Haman, Mardochée contrecarre le plan génocidaire par un autre édit, une nouvelle lettre cachetée, portée par des messagers dans toutes les provinces. Cette nouvelle missive permet aux Juifs de massacrer « à leur gré » tous ceux qui les persécuteraient, vieillards, femmes et enfants compris. Le massacre, cette fois, est perpétré. Mardochée est fêté.
Une fois l’histoire relue, on peut se questionner sur le lien qui se crée entre pouvoir et tyrannie. Alors qu’Esther demande au roi de simplement révoquer le premier édit, Mardochée, fort de sa position et du sceau royal, organise un massacre en bonne et due forme. Pourquoi ? Qu’est donc devenu notre héros ? Et pour nous, lecteurs, qu’est-ce qui fait qu’on peut s’accommoder de ce changement de cap et rester, malgré tout, dans le camp de Mardochée ? Heureusement, c’est une histoire qui n’arrive pas dans la vraie vie, sinon, il nous faudrait de toute urgence ouvrir les yeux, protester et résister.

Béatrice Kraemer,
Membre du service biblique régional Paris

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