Témoins de ceux qui ne témoignent pas

 

Lévitique 19.33-34 ; Matthieu 25.34-46

Au début du printemps, l’association La Cimade et l’agence Josiane ont lancé une nouvelle campagne de communication, sous la forme d’un film et d’affiches, intitulée « Ouvrons les yeux et ne passons pas à côté de l’humanité ».

Cette campagne insiste sur la nécessité de découvrir et de rencontrer ceux que, dans notre quotidien, nous ne voyons pas. Personnes réfugiées et migrantes, demandeurs d’asile, invisibles.

Un difficile paradoxe

Nous ne les entendons pas non plus. D’abord parce qu’ils ne parlent souvent pas la même langue que nous. Mais ce n’est pas la vraie raison. On a beau vouloir aussi ouvrir les oreilles, ils sont inaudibles. Même lorsqu’on veut connaître les parcours qui les amènent jusqu’à nous, les deuils, les souffrances, les persécutions, il est très difficile d’avoir accès aux témoignages. « Vous cherchez des témoignages ? Il faudrait plutôt chercher pourquoi il n’y en a pas… » : deux membres de l’antenne d’Alençon, Ghislaine et Marie-Claire, tirent de leurs expériences et de leurs rencontres au sein de la Cimade, ce terrible paradoxe.
Pour procéder à une demande d’asile, constituer un dossier à l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), il faut témoigner, donner des preuves des souffrances, raconter, parler. « La preuve, par exemple, qu’on a décapité votre frère en Afghanistan, qu’on vous a demandé 10 000 dollars pour l’enterrement, et qu’on a été séparé de son épouse pendant quatre ans, et que jamais on n’a pu pleurer ensemble… ». « La preuve qu’on a été torturé en RDC parce qu’on a fait des études de pasteur… ». « La preuve qu’on a subi des viols de groupes, et le suicide de sa compagne parce qu’on est homosexuelle en Afrique… ». 

Un travail psychologique délicat

« Dans ce genre de circonstances, il faut se refaire une vie avant de songer à parler, se voir en sécurité avant de commencer un travail sur tout ça ». Un travail préalable prudent et vigilant, un réapprentissage guidé de la parole. C’est l’une des missions du Centre Primo Lévi, consacré au soin et au soutien des personnes victimes de violence et de torture. C’est un travail psychologique délicat, car on ne sait pas ce qu’on enclenche.
Ghislaine évoque la femme rabbin Delphine Horvilleur pour rappeler : « Contrairement aux animaux, les êtres humains sont des êtres de récit ». Lorsqu’on n’a pas été traité comme un être humain, il est difficile de se réapproprier le récit de sa vie. Et il faut un récit pour demander l’asile politique. Et aussi pour exister aux yeux des autres.

Une absence de mots

Pour Marie-Claire, en préalable, il y a à manifester l’humanité inconditionnelle vis-à-vis de personnes de toute origine et de toute croyance. Même si pour elle l’engagement est enraciné dans la Bible. « La Cimade fait partie de mon ADN, et la base du désir fondamental de manifester l’humanité, c’est le texte de Lévitique 19.34. Même si le prosélytisme du fait de notre engagement religieux est exclu dans notre action ». « Parfois, précise Ghislaine, nous sommes amenés à orienter des personnes vers des communautés de croyance, paroisses, mosquées, temples : fréquenter des endroits où l’on n’est pas seul, ça aide, en particulier les mineurs isolés ». « C’est dans le cadre d’une relation à la personne, fait écho Marie-Claire. Des personnes cassées, dont les familles ont été assassinées, elles sont au-delà de toute foi. Elles n’ont plus de mots pour le dire… »
Néanmoins, dans le cadre de la Cimade, on s’interroge sur le recueil de témoignages…

 Sophie de Mazenod
Paroles protestantes en Basse-Normandie

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