Irène : ton air de Brest, c’est pas du cinéma !

Le Lutherol, un médicament composé de citations, une initiative de l’Église protestante de Bavière, à l’occasion des 500 ans de la Réforme en 2017 © DR

Le 29 mars dernier, le tribunal de Paris a reconnu les laboratoires Servier coupables de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires » dans l’affaire du Mediator, un scandale mis au grand jour par la pneumologue Irène Frachon. Témoignage d’un protestant fier d’être de l’être.

Il est des moments de grâce dans la vie qui vous rendent fier d’être ce que vous êtes. Je le dis donc en toute modestie : je suis fier d’être protestant. J’en suis d’autant plus humble que je dois cette fierté à une femme que j’ai rencontrée, un peu fortuitement je l’avoue, au cinéma.

Une croix huguenote omniprésente

Irène Frachon © Patrick Balas

Une femme du tonnerre, celui qui fait grand bruit dans le silence de la mièvre bienséance, une femme de la foudre, celle qui jette un feu de justice sur la terre, une femme assurément du tonnerre de Brest comme le jure, autant pour un oui que pour un non pas toujours évangélique, un célèbre capitaine de BD. Bref, j’ai rencontré « La fille de Brest » au cinéma et ça a été le coup de foudre… pour ma vieille mais si rajeunissante religion. Ma religion qui, par bienfaisante Providence, est également celle de l’héroïne du film d’Emmanuelle Bercot. Cette dernière, Emmanuelle, a eu manifestement Dieu avec elle pour réaliser ce film qui nous présente une séquence de la vie combative d’une parpaillote têtue : Irène Frachon. Film dans lequel l’Éternel, bien caché comme Lui seul en a le secret, semble donc totalement absent. Pour couronner le tout, certains dialogues – qui feraient rougir les fameuses bigotes de Jacques Brel – sont plus issus d’une gaillarde salle de garde hospitalière que d’un catéchisme bon enfant ! Mais ce sont des échanges qui, dans leur crudité, sonnent vrai comme la Vérité. Seule, la croix huguenote omniprésente au cou de l’actrice peut rappeler, mais aux seuls initiés, qu’Irène Frachon est plus enracinée en Dieu qu’en César. Ce qui évidemment lui attirera quelques soucis aussi professionnels que personnels…

Une constance résistance

En 2017, les protestants ont fêté les 500 ans d’une action de résistance posée par celui qui a gaillardement enfoncé, non pas 70 fois 7 fois mais plus humblement 95 fois, le clou de la protestation sur la porte d’une église aussi incontestable qu’incontestée jusqu’alors et qui avait de ce fait clocher sur rue – Martin, taisez-vous ! lui ont ordonné sans indulgence aucune les actionnaires de ladite maison religieuse, alors que leurs poches, c’est quand même injuste ! débordaient d’indulgences. 500 ans plus tard c’est ce même Martin qui suggère à ses frères dans la foi non pas « Taisez-vous ! » dont il avait lui-même souffert, mais bien « Thèsez-vous ! » ou encore « Thèses et vous ! » d’aucuns diraient pour être dans le vent (de l’Esprit !) : « 2017, nos thèses pour l’Évangile ! » Ces thèses qui prennent appui sur « Indignez-vous ! Révoltez-vous ! Résister !  Luttez ! » (joli mot si proche de Luther). Curieusement, en découvrant le film sur Irène Frachon, j’ai fait aussi ce retour vers le passé mais, pour ne pas marcher sur les chausses de Martin et les 500 ans de Luther, je ne suis revenu, modestie oblige, qu’environ 250 ans en arrière vers une jeune protestante de 19 ans à la foi incroyable : Marie Durand. Si 250 ans séparent Marie et Irène, de nombreux points communs les rapprochent. Tout d’abord, elles ont vécu près de la mer, cet espace à la fois visible et infini où l’on ne voit que par la foi ce qui se cache derrière l’horizon. Le CHU de Brest pour l’une qui est pneumologue et Aigues-Mortes pour la seconde qui sera enfermée 38 ans – de 1730 à 1768 – dans la tour de Constance pour refus d’abjurer sa foi protestante. Tour de Constance : cette constance qui a fait tenir Marie debout 38 fois 365 jours dans sa prison où elle se fit soutien de ses compagnes de souffrances. Cette constance qui a permis à Irène de repartir au combat à chaque fois que les puissances de pouvoir, de mensonge, de cupidité, d’argent et de bêtise ont cherché à l’abattre.

Un modèle à imiter

Elles ont aussi en commun d’avoir affermi leur foi par un modèle à imiter : Pour Marie, son frère Pierre Durand pasteur du Désert qui sera, comme Dietrich Bonhoeffer plus tard, pendu pour sa foi. Albert Schweitzer, lui, sera pour Irène le socle, le modèle médical et humaniste sur lequel elle ancrera son existence et ses choix professionnels. Elles auront, l’une en prison et l’autre à l’hôpital, vocation à soigner corps et âmes. Ainsi Marie pour ses compagnes « se fit leur garde-malade inlassable et tendre… elle cousait pour l’une, épelait les lettres d’une autre, écrivait sous la dictée aux amis et aux parents » (Les prisonnières de la tour de Constance, Samuel Bastide).
De son côté Irène va s’investir pour soigner et défendre les mal traités. Elle fera sienne en l’appliquant souvent douloureusement l’inscription gravée dans la pierre de la tour de Constance et attribuée à Marie Durand : « Résister ». Marie, enfermée dans sa prison sera contrainte à s’asseoir au pied du Seigneur et à se mettre à son écoute tandis qu’Irène sera appelée comme Marthe à dépoussiérer les médiocrités comportementales, à balayer les petites magouilles, à mettre les pieds dans le plat d’arrière-cuisines aux recettes plus financières que culinaires mais d’origine douteuse (cuisines bizarrement appelées « laboratoires » aujourd’hui …), à secouer les étagères de produits bassement boutiquiers mais astucieusement étiquetés apothicaires pour les rendre respectables puis très rentables pour les uns mais très mortels, comme au bon vieux temps des sorcières, pour d’autres. Elle opposera la probité du serment d’Hippocrate à la vénalité hypocrite de confrères messagers mensongers de certains laboratoires non seulement malhonnêtes, mais criminels.

Un maquillage de la vérité

Bref, après bien des péripéties avec les laboratoires Servier, des responsables de la Santé, de certains confrères plus adeptes de Mammon par conflit d’intérêts que du stéthoscope mettant en évidence les lésions cardiaques provoquées par le Médiator, elle fera courageusement éclater le scandale de ce « Médiatueur » en écrivant un livre vérité sorti en 2010 : Mediator 250 mg, combien de morts ? Son combat ne vise évidemment pas la recherche ni les laboratoires mais bien les dérives du maquillage de la vérité qui conduisent à gonfler la bourse de quelques-uns en vampirisant la vie de milliers d’autres. La bourse et la vie ? C’est un marché de dupes ! De mauvaises langues parleraient de mafieux. Le disciple du Christ, rempli d’espérance, préférera suggérer des « comportements » mafieux chez ces bien-pensants qui pensent mal et fera sienne, dans ce monde de menteurs et de tricheurs, cette déclaration d’Irène Frachon : « Je me fiche de mon image publique. A Dieu seul la gloire – Soli Deo gloria –   voilà ce que je lisais sur les partitions de Bach lorsque j’avais le temps de jouer de l’orgue à l’office ».

Oui ! Merci Irène, Marie, Martin, Pierre, Albert et les autres… Si je suis fier d’être protestant, je crois que je vous le dois un peu !

Gérard Sevelle

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