Les maisons d’oraison de Saintonge maritime (1755-1802)

Un patrimoine rural, protestant et unique dans le royaume de France
(suite de l’article paru sur ce site, Le pasteur Jean-Louis Gibert à l’origine des maisons d’oraison).

Le pasteur Jean-Louis Gibert parti en exil, les maisons d’oraison saintongeaises continuent d’être utilisées ; les registres le prouvent, mais qui les a donc tolérées et protégées ?

Maison d’oraison à Avallon, dans la commune d’Arvert, devenue temple en 1802 et utilisée jusqu’en 1950. Seule maison assez solide pour résister au temps et donc aujourd’hui photographiable © DR

Il est illusoire d’espérer trouver un document répondant à la question, puisque les temples sont interdits et que les maisons d’oraison sont en fait des temples clandestins. Les intendants et gouverneurs savent que le roi ne veut pas de la publicité des temples et que celle des maisons d’oraison sont donc inacceptables pour lui. En Poitou, Périgord et Cévennes, elles ont été rapidement détruites. La situation en Saintonge est tout autre.

Un maréchal tolérant

En l’absence de preuve formelle, la présomption de tolérance se porte sur le maréchal de Sennectère, marquis affable, tolérant, diplomate et grand propriétaire terrien en Saintonge. Il est respecté, aimé autant des protestants que des catholiques.
En 1756, ce maréchal de France est nommé pour défendre le littoral saintongeais et il réside en son château de Saint-Georges-de-Didonne. Non loin se trouve la maison du pasteur Jean Jarousseau qu’il protège secrètement en lui conseillant d’avoir une cachette, dans le cas où Versailles lui demanderait de l’arrêter. Surtout le maréchal a pour priorité des priorités, l’ordre.
Sa connaissance de l’existence des maisons d’oraison est assurée, puisque le pasteur Gibert lui a adressé une lettre qui argumente : « Une petite assemblée régulière est plus facile à contrôler que de grandes assemblées nocturnes et irrégulières. » Par ailleurs, Daniel Robert relève qu’il dit aux protestants de La Rochelle1 se réunissant en petit groupe qu’ils agissent bien et avec prudence contrairement à leurs coreligionnaires de Saintonge.
L’écrivain Eugène Pelletan2 raconte que lorsque son grand-père informe le maréchal de son intention d’installer une maison d’oraison, dans un lieu écarté, mais sur son domaine, celui-ci lui rétorque : « Je ne peux autoriser ce qui est interdit. » Et s’il laisse le pasteur Jarousseau agir, il le prévient que s’il dit qu’il a eu l’autorisation, alors il le fera pendre.
Une telle duplicité ou cette extrême prudence a une raison profonde qui tient au caractère affable de ce militaire de haut rang qui doit à la fois obéir au roi et faire régner l’ordre en ce temps de guerre. Or les huguenots, s’ils sont opiniâtres, sont aussi des gens d’ordre lorsqu’on les laisse tranquilles. Le maréchal le sait, il apprécie l’ordre qui règne à Saint-Georges depuis que le pasteur Jarousseau est là. Il le lui a dit.
On objectera qu’il s’agit de propos de romancier basés sur des témoignages oraux, mais rappelons que les documents n’existent pas.
Par ailleurs, les biographes3 du maréchal signalent qu’en ce XVIIIe siècle, il est sensible à la montée en puissance des idées de tolérance des philosophes des Lumières. Il est noté qu’il est l’ami de Voltaire qui, en 1763, publie son traité de la tolérance.

Un marquis propriétaire

Au fil des années, le marquis acquiert autour de son château de Didonne plusieurs domaines : en 1738, le marquisat de Pisany ; en 1758, la baronnie d’Arvert et celle de Saujon ; vers 1754, la châtellenie de Chay et la seigneurerie de Chenaumoine et une partie de celle de Brezillas. Tous ces domaines sont en Saintonge où le plus grand nombre des maisons d’oraison sont implantées sur ces terres et où la population protestante est souvent majoritaire. Les maisons d’oraison sont chez lui !
Cette multitude de détails épars montre que le maréchal connaît parfaitement la présence des maisons d’oraison, mais n’ordonne pas leur destruction systématique. Cette tolérance vise ainsi au maintien de l’ordre. Si quelques-unes ont tout de même été détruites, ce fut pour satisfaire les opposants les plus haineux et remuants4, ce qui fut une façon subtile de protéger les autres.
Personne et aucun document ne cite son nom… Du moins au XVIIIe siècle. Est-ce la raison que Gibert ne peut confier au papier5 ?
Dans cette affaire, avec le recul, il est clair que le gouverneur de La Saintonge qui en priorité, a la responsabilité de l’ordre, a eu une action tolérante qui manquait en Périgord, Poitou, Cévennes… Et puis, en ce temps, l’économie est en plein marasme et les ennemis des huguenots semblent se lasser, comme Gibert l’écrit à son frère.

Des bâtiments qui deviennent légaux

Aujourd’hui en 2021, Il est clair que ces maisons d’oraison ont existé et ont servi au moins jusqu’en 1790-1802 dans la province de Saintonge et nulle part ailleurs dans le royaume de France6.
Au temps de la liberté, elles sont officieusement qualifiées de temples, telle celle d’Avallon dans la commune d’Arvert.
Après la signature des articles organiques du concordat de 1802, elles sont enfin légales.
Au temps de la Restauration, elles sont dans un si piteux état que les municipalités n’ont pas voulu prendre en charge ces bâtiments vétustes et privés. Elles ont préféré les remplacer en construisant un temple, plus élégant, plus solide et surtout bien visible dans le bourg et non caché dans un lieu écarté. Enfin, dans quelques cas, les matériaux récupérés lors de la destruction ont servi à la construction des nouveaux temples, tels ceux de La Tremblade, Chaillevette, Maine Geoffroy (Royan) et Segonzac. Ce qui a rendu l’inventaire parfois bien difficile.
Actuellement, bien qu’en partie invisible, ce patrimoine rural protestant et saintongeais est unique. De plus, il témoigne de la réussite de la folle initiative de Gibert. Elle fut rendue possible grâce à une situation politique spécifique, ayant désorganisé l’économie d’une part et d’autre part à la sensible et lente montée en puissance de la tolérance qu’avait inaugurée en 1682, le philosophe protestant Pierre Bayle dans La lettre sur la Comète. Thème qu’il avait repris en 1686 dans son Dictionnaire historique et critique, édité depuis son refuge à Rotterdam.

Robert Martel,
Membre du comité d’administration de la
Maison de l’histoire du protestante charentais

1 Remarque confirmée par Daniel Robert.
2 Eugène Pelletan Jarousseau, pasteur du Désert, La Cause (1982) et Le Croît vif (2003).
3 Notamment l’éloge de l’abbé Pierre Gervaud en juillet 1789.
4 Les jésuites de Marennes empêchèrent l’achèvement de celle d’Artouan (à 5 km).
5 Début de la lettre de Gibert à son frère.
6 Il y a eu des maisons d’oraison dans le Comté de Foix, mais celui-ci n’appartenait pas au royaume de France

Photo : Maison d’oraison à Avallon, dans la commune d’Arvert, devenue temple en 1802 et utilisée jusqu’en 1950. C’est la seule qui était assez solide pour résister au temps et donc aujourd’hui photographiable.

 

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