Vivre… « à tout prix » ?

Vivre… « à tout prix » ? Voici une question que je me pose de manière de plus en plus incisive depuis que je suis aumônier. Cet article ne se veut pas traiter de l’euthanasie, même si j’emploie le mot – je n’en suis pas apte – mais de la valeur de la vie « à tout prix ».

Mes propres questionnements ne contribueront certes pas à une quelconque avancée éthique, ils sont certainement ceux de beaucoup de personnes, notamment en milieu hospitalier.

La peur de souffrir

Toutefois je les partage humblement, comme pistes de débat non pas tranché, mais interpellation entre foi, souffrance, dignité humaine, valeur de la vie « à tout prix ».
Deux situations, différentes, interpellent ma réflexion au moment même où le ministre de la santé Olivier Véran a annoncé ce jeudi 11 mars au Sénat le « lancement à compter du mois d’avril d’un nouveau plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie ».
La première situation est celle de patients, en fin de vie, une vie qui se prolonge parfois trop pour eux. Ils font référence à l’amour que l’on porte aux animaux qui fait que lorsqu’ils souffrent trop, on les euthanasie. Ils ne comprennent pas pourquoi la France refuse cette possibilité…
Une amie présidente de Conseil presbytéral, médecin, avait évoqué avec moi sa thèse de médecine qui portait sur le fait que les demandes d’euthanasie baissaient drastiquement dès lors que l’on prenait en charge la douleur.
Je ne suis pas médecin mais crois volontiers que ce point de vue est perspicace ; les patients que je rencontre souffrant d’une lourde pathologie me parlent de la crainte de souffrir physiquement.
Mais un point m’interpelle, celui de la dégradation de la santé, comme la définit l’Organisation mondiale de la santé : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Un état complet de bien-être physique, mental et social…

Vous êtes digne

La deuxième situation qui me questionne alors par rapport à cette définition est celle de résidents en Unité d’hébergement renforcé. Je m’y rends deux fois par semaine. Toutes ces personnes ont des troubles cognitifs importants, associés à des troubles du comportement (agressivité, violence…).
Plusieurs passent leurs journées couchées par terre, signe de régression ; toutes ont des protections hygiéniques ; très peu peuvent avoir une conversation, même en les sollicitant sur des souvenirs du passé lointain… Certaines crient ; la plupart attendent dans un fauteuil… Attendent quoi ? À chacune de ces personnes, je dis systématiquement : « Vous êtes digne », en essayant de capter leur regard… parce qu’aux yeux de Dieu, je sais qu’ils le sont.
Mais aux yeux de l’humanité ? Aux yeux de leurs enfants pour qui c’est souvent une torture de voir leurs parents dans un état si dégradé qu’ils ne les reconnaissent plus, qui pleurent, qui appellent leur maman, qui mordent !
Je leur parle doucement ; je fredonne ; je leur raconte de petites histoires. Juste présente, assise par terre et dans le même temps attentive pour esquiver toute tentative d’agression…
Combien de personnes me disent : « Je ne veux pas finir comme ça » ? Combien de personnes me disent également leurs craintes de souffrir, alors que dans deux des trois hôpitaux dans lesquels je vis ma mission il n’existe pas de service de soins palliatifs dédié ?
Notre pays serait-il encore à ce point marqué par les stigmates d’un dolorisme religieux où la souffrance qui avait valeur de rédemption est encore pleinement acceptable, acceptée ? Je le crois ; et j’ose croire que le protestantisme français peut faire évoluer la situation, pour passer d’une « vie à tout prix » à « une vie digne ».

Nathalie Paquereau
Aumônier des hôpitaux (La Rochelle, Rochefort, Niort)

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