Laïcité et Loi de 1905

Cet article est un prolongement de celui paru sur ce site, La laïcité en questions, et fait suite à la formation Théovie sur le thème « La laïcité est-elle contre les religions ? », organisée par la région Ouest de l’Église protestante unie de France. Un bonus a été proposé avec Michel Bertrand, dont Jean Loignon nous propose une synthèse.

Inspiré par Voltaire, Émile Combes sépare l’Église et l’État. Caricature anonyme, centre national et musée Jean-Jaurès, Castres © Domaine public

La laïcité est assurément une passion française, et nous ne sommes pas loin de penser que nous en avons l’exclusivité. Pourtant la question des rapports entre religions et État est universelle et les réponses d’une grande diversité. Ainsi la laïcité américaine se veut d’abord la garantie de l’existence sur son sol de multiples religions, dont les symboles imprègnent l’espace public ; au Royaume-Uni, la reine est chef de l’État et de l’Église anglicane ; en Allemagne, la chancelière Angela Merkel peut conclure invariablement ses messages de vœux de nouvel an en appelant la bénédiction divine sur toutes et tous, sans que cela ne choque quiconque…

Des débats polémiques

Un regard vers l’extérieur nous fait donc aisément percevoir la différence entre les sociétés historiquement mono-confessionnelles, où la laïcité a été et reste ressentie comme une force de libération, et les sociétés multiconfessionnelles, où la laïcité est plus soucieuse d’organiser le pluralisme, parfois avec l’aide de l’État. La France appartient à la première catégorie et sa laïcisation a été un processus de longue durée, mené par ses Républiques successives, souvent dans un climat de tensions extrêmes. Si un apaisement avait paru sensible à la fin du XXe siècle, notamment sur la question scolaire, des débats polémiques ont réapparu pour deux raisons.
La première est la question de l’islam, perçu pendant longtemps comme une réalité extérieure liée au passé colonial de la France et ne concernant qu’à la marge la métropole. L’installation définitive de familles de foi ou de culture musulmane et devenues françaises a changé la donne et nourri de grands débats, dont la question des signes religieux à l’école est restée l’exemple emblématique. Ce à quoi s’est ajoutée une sécularisation de la société française marquée par une perte rapide et massive des repères religieux, avec deux conséquences : une méfiance envers les religions par méconnaissance et la promotion de la laïcité au rang de valeur suprême, voire de religion civile, seule capable d’assurer le vivre-ensemble. Ne parle-t-on pas ici ou là d’ajouter le mot « laïcité » à la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » ?
Il n’en reste pas moins que malgré les évolutions mentionnées, la société française est loin d’être neutre sur le plan religieux et un certain « catho-laïcisme » se manifeste toujours dans ses jours fériés ou certains hommages républicains (messes à Notre-Dame) ou l’entretien du patrimoine cultuel. Le soupçon naît alors d’une laïcité à géométrie variable, avec une inégalité lésant les diverses religions et confessions perçues comme exogènes. Et sur un autre plan, si l’État sollicite les avis des courants religieux sur des questions éthiques, il accepte plus difficilement leurs interpellations sur des questions humanitaires, comme celle de l’accueil de l’étranger.

Revenir à la loi de 1905

Dans ces débats aussi vifs que renouvelés, il est piquant de remarquer que la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État est souvent qualifiée de « totem » républicain, nonobstant le sens religieux du mot ! Mais également que la méconnaissance collective altère la perception que nous pouvons avoir de cette loi fondamentale de la République.
Rappelons que la laïcité en France a été un processus long et bien antérieur à 1905. L’école laïque de Jules Ferry (1882) n’était nullement antireligieuse et reconnaissait les « devoirs envers Dieu » dans les cours de morale assurés par les instituteurs. Comment aurait-il pu en être autrement à une époque où la pratique religieuse était ultra majoritaire ? Ce sont les tensions entre la jeune IIIe République et l’Église catholique (tentative de restauration monarchique, Affaire Dreyfus…) qui ont entraîné une radicalisation de la laïcité, devenue entreprise de réduction du pouvoir de cette Église sur la société française. Mais les promoteurs de la loi de 1905 ont refusé fermement l’éviction demandée par certains de la foi catholique de l’espace public : ne proposait-on pas l’interdiction du port de la soutane en dehors des églises ? Dans une volonté bienvenue d’apaisement, la loi de 1905 a résolument choisi une option libérale, en assurant dès son premier article, la liberté de conscience et en garantissant le libre exercice des cultes.
Trois principes découlent de cette loi, acceptée immédiatement par le protestantisme (qui avait largement contribué aux efforts d’Aristide Briand) et le judaïsme, plus difficilement et tardivement par l’Église catholique dans les années 20.

  • La loi protège la société contre toute prétention hégémonique d’une confession religieuse, conférant ainsi une authenticité dans l’adhésion des fidèles, libres de leur choix.
  • La loi ne privatise pas les religions et ne les exclut pas de l’espace public, auquel elles gardent accès, puisqu’elles doivent en accepter les restrictions établies dans l’intérêt de l’ordre public.
  • La loi interdit à l’État de s’ingérer dans les affaires religieuses, par le biais de financements ou d’arbitrage.

Notons que le mot laïcité est absent de la loi de 1905, dont l’application a connu au fil des décennies bien des accommodements, notamment en Alsace-Moselle et Outre-mer. La laïcité se définirait plus comme ce qui permet un espace de débat permanent, n’excluant pas des tensions, mais visant l’objectif d’un compromis, dans l’esprit libéral de la loi de 1905. 121 ans après, est-il possible d’organiser un islam de France sur la base de ce débat large, respectueux et exigeant, sans précipitation, ni confusion entre impératifs sécuritaires et liberté de conscience ? Le défi est devant nous.

Que dit la Bible ?

Ce débat collectif entre citoyens et intérieur à chaque croyant peut-il se nourrir de Bible et de théologie ?
Déjà dans le Premier Testament, la figure du prophète souligne bien l’existence de pouvoirs royaux pouvant être interpelés, voire durement critiqués par des paroles de foi. Et les contradictions entre les Dix Commandements et autres prescriptions de la Torah et les faits relatés dans la Bible mettent en évidence les tensions entre la loi religieuse et la vie des hommes et des femmes.
Jésus, dans sa réponse célèbre à une question des Pharisiens, sépare nettement ce qui appartient à César et ce qui appartient à Dieu (Mt 22.21) : ce refus d’une confusion entre politique et religieux peut être lu comme les prémices de la laïcité. Mais l’apôtre Paul dans l’Épître aux Romains (13.1) déclare qu’il faut être soumis aux autorités, qui tiennent de Dieu leur légitimité, tandis que l’apôtre Pierre affirme dans les Actes (5.29) qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.
Durant la Réforme, Luther distingue bien le règne de Dieu et celui du monde temporel ; mais il s’appuie sur le pouvoir des princes allemands pour asseoir son entreprise réformatrice. En France, l’amour protestant de la laïcité est celui d’une confession dont l’existence a été longtemps menacée par un pouvoir royal et religieux confondu ; mais il a accepté le Concordat napoléonien (1802-1905) qui consolidait sa reconnaissance, lui permettant de s’en affranchir le moment venu. Et aujourd’hui, il entend bien exercer ce rôle de « vigie de la République » que lui décernait le Président Macron lors des commémorations du cinq-centenaire de la Réforme.
Églises et laïcité, toujours à réformer…

Jean Loignon

Note de l’auteur : cet article est infiniment nourri par les apports du pasteur Michel Bertrand, qui fut président du Conseil national de l’ERF et professeur de théologie pratique à l’Institut protestant de théologie / Faculté de théologie de Montpellier, lors du webinaire sur la laïcité. Mais la compréhension et la transcription de ces apports sont les miennes et j’en assume la responsabilité.

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