L’espérance réclame du courage

Une voie délicate pour déplacer ses appréhensions © Simon Steinberger de Pixabay

La notion de courage est nécessaire pour comprendre le sens de notre foi profonde*.

André Gounelle © LeBarMarân-commons.wikimedia.org/

À ceux qui sont aux prises avec des difficultés et des peines, je dis souvent « bon courage ». J’entends ainsi leur adresser une parole positive (pas négative comme « je vous plains » ou « mon pauvre ami »). J’ai conscience d’employer une formule convenue ; elle n’en est pas moins sincère et exprime une foi. Elle a l’inconvénient d’être vague : en quoi consiste ce courage que je souhaite à mon interlocuteur ? Avoir du courage veut dire faire face aux situations qui se présentent. Lesquelles et comment ?

Faire face à quoi ?

Nous sommes sensibles au dramatique et au périlleux, et oublions le banal et l’ordinaire. On ne parle pas très souvent du courage de la vie quotidienne, tellement il paraît aller de soi. Pourtant il est important. Chaque jour, nous nous adonnons à des occupations nécessaires, répétitives, parfois usantes : se lever, nettoyer son domicile, mettre de l’ordre, entretenir son ménage, etc. Ces tâches impliquent un effort : celui de surmonter fatigue, lassitude, négligence et paresse. Ne pas se laisser aller demande du courage, un courage discret, modeste, peu mis en valeur mais qui mérite cependant d’être signalé.

Ce courage de l’ordinaire exprime un espoir : que tout cela vaut la peine d’être fait et d’être bien fait. La vie peut se montrer douce ou cruelle, tranquille ou agitée, heureuse ou malheureuse ; en tout cas, elle n’est ni vaine ni absurde. Elle a du sens. Ce sens ne se révèle pas et ne s’honore pas seulement ni même principalement dans des circonstances exceptionnelles ; il réside aussi et surtout dans ce qu’on considère à tort comme de petites choses (« qui est fidèle dans les petites choses l’est aussi dans les importantes » dit l’Evangile). Ce courage surmonte ce que les anciens appelaient l’acedia, le sentiment que « tout est vanité », la perte du goût de vivre, l’ennui d’avoir à agir. Thomas d’Aquin a rangé l’acedia dans la liste des péchés capitaux ; par péché, n’entendons pas une faute morale, mais ce que la foi contredit et combat : elle lutte contre le mal-être qui nous guette et elle suscite le courage du quotidien.

À côté du banal, nous affrontons parfois des moments terribles où notre vie se joue et où des désastres nous menacent (le psaume 23 parle de la « vallée de l’ombre de la mort »). Le courage n’a pas alors à surmonter la lassitude, comme dans le cas précédent, mais la peur. Dans l’Ancien Testament, le mot « courage » apparaît en général dans le contexte de guerres et de batailles, où Israël se trouve en position d’infériorité. Il est un peuple faible ; il craint les armées ennemies. Il doute de ses forces et il cherche du courage dans la confiance en Dieu qui se tient à ses côtés. Comme le dit Josué au peuple qui, après la mort de Moïse, va devoir entrer en Canaan, un pays aux capacités militaires redoutables : « Fortifie-toi et prends courage. Ne t’effraie pas et ne t’épouvante pas car l’Éternel ton Dieu est avec toi partout où tu iras » (Jos 1.9). Dans les Évangiles, ce sont des gens aux prises avec des infirmités physiques lourdement invalidantes, des paralytiques et des aveugles, qui sont invités à prendre courage, autrement dit à faire confiance à Jésus (Mt 9.2 ; Mc 10.49). Et quand le navire où il s’est embarqué va faire naufrage, Paul exhorte ses passagers au courage (Ac 27.22).

Entre le quotidien et les grandes détresses, de nombreuses situations demandent du courage. Sans chercher à en dresser une liste complète, mentionnons la peur de l’inconnu ; il faut du courage pour s’ouvrir à l’autre (ainsi pour accueillir et ne pas repousser l’étranger), au différent (pour sortir de ses routines et innover). Il faut du courage pour avoir des enfants dans un monde angoissant à l’avenir sombre et incertain. Il faut du courage pour prendre des décisions dans des situations où on n’y voit pas clair.

Faire face comment ?

Comment fait-on face? Le courage me semble se composer de trois éléments, le troisième étant le plus important du point de vue de la foi.

  1. D’abord, il implique une acceptation. Quand un proche meurt, lorsqu’une catastrophe nous atteint, avoir du courage signifie ne pas s’enfermer dans le déni (tel le Dr Pangloss de Voltaire qui affirmait, quoi qu’il arrive, que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes), ni rêver à un miracle improbable qui ramènerait « le monde d’avant », ni ressasser à longueur de journée récriminations et rancœurs. Le stoïcisme a beaucoup insisté sur le courage d’accepter. À partir de la conviction que tout ce qui arrive répond à une logique, il demande à ses adeptes non seulement de s’adapter mais aussi de s’accorder aux choses et aux événements. Pour les chrétiens, l’acceptation prend une autre forme : reconnaître ses limites, ses insuffisances, ses faiblesses, son incapacité à se sauver soi-même. Le théologien Paul Tillich a écrit que la foi est le courage d’accepter d’être inacceptable et d’accepter la bonne nouvelle de l’Evangile, à savoir que Dieu nous accepte quand même. C’est ce que veulent dire le « pardon des péchés » et la « justification par grâce ». Les stoïciens espèrent en leur force d’âme et leur courage d’accepter est orgueilleux. Les chrétiens espèrent en Dieu et leur courage d’accepter est humble.
  1. Ensuite, le courage comporte une évasion, par quoi j’entends une distanciation et une mise en perspective qui permettent de percevoir que la réalité ne se réduit pas à ce qui nous épouvante et nous torture. L’art, la pensée, la méditation nous aident à ne pas être envahis par ce qui va mal et nous fait mal. Ainsi, durant la guerre 14-18, la visite de musées durant ses permissions calmait les angoisses de P. Tillich en l’ouvrant à d’autres dimensions de la réalité que celles qu’il vivait au front ; elle nourrissait son espérance d’un monde différent et le courage d’affronter l’horreur des tranchées. À des juifs opprimés et miséreux, Jésus dit : « cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6.33). Le Royaume ne désigne pas une réalité surnaturelle qui serait ailleurs, mais la présence et l’action de Dieu dans notre monde et notre vie. Le courage est de ne pas se laisser submerger par les préoccupations, les peines et les souffrances qui nous assaillent, et, au cœur d’une Babylone infernale et sans l’oublier, de « chanter les cantiques de Sion » (Ps 137), autrement dit, de chercher le Royaume. Il « s’approche » et le courage évangélique le perçoit au sein de ce qui le cache et le contredit.
  1. La Bible, nous l’avons vu, rattache le courage du croyant à la confiance en Dieu. Non pas dans le Dieu stoïcien qui a organisé le monde et qui donc justifie ou légitime ce qui est ; l’acceptation du croyant biblique n’est pas passivité et fatalisme. Non pas dans un Dieu idéaliste ou esthète qui nous permettrait de nous réfugier dans un univers de rêve ; l’évasion du croyant biblique n’est pas une fuite hors du réel. Le Dieu biblique est un Dieu qui bouge et qui fait bouger ; il vient changer les choses ; il œuvre pour transformer le monde (en faisant surgir une « nouvelle création ») et pour nous transformer (en faisant de nous de « nouvelles créatures »). Là se trouve la pointe du message évangélique, comme le soulignent justement les théologies du Royaume (W. Monod, A. Schweitzer, les théologiens du Process) et de l’espérance (J. Moltmann). Le dynamisme créateur de Dieu suscite le courage de tenir bon et d’espérer. Marcher quand l’horizon à vues humaines paraît bouché, lutter pour la victoire de la vie lorsque la mort menace, pour le triomphe de la justice là où règne l’iniquité, pour le règne de la paix au milieu des guerres, c’est possible, parce que, comme le dit la confession de foi de l’Église unie du Canada, « l’être humain n’est pas seul». Dans les petites choses du quotidien et dans les moments de grand péril, il n’est pas livré à ses seules ressources. Il peut compter sur un Autre. Souhaiter bon courage à quelqu’un, c’est lui dire que Dieu lui donne et lui donnera la force de faire face.

André GOUNELLE, professeur de théologie systématique émérite
à la faculté de théologie protestante de Montpellier

* Article paru dans Ressources n° 12, oct. 2020. Disponible aux éditions Olivétan.

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