Le Mystery à la conquête de l’Ouest

Jean-Yves Carluer

Le port de Douarnenez vers 1900 © Domaine public

Comme les autres navires de la Société au service de la Mission des marins de Gosport, le Mystery a eu une carrière assez courte, 1885-1886. Cette modeste goélette à hunier de 53 tonneaux avait sans doute été achetée d’occasion. Elle termina au service de l’évangélisation des côtes de France.

L’œuvre du prédicateur méthodiste Henry Cook, fondateur de la Mission des marins de Gosport en Grande-Bretagne, avait recherché un bâtiment suffisamment rustique pour relâcher dans la plupart des ports de la Manche, même les plus modestes, et armé d’un équipage réduit. Il devait être assez grand pour accueillir, selon les sources mêmes de l’œuvre de Gosport, un auditoire de 200 personnes dans sa cale, spécialement aménagée à cet effet.
La leçon des croisières de l’Annie, premier bateau missionnaire qui a sillonné en 1882 les côtes françaises, avait été bien comprise. Trop d’auditeurs potentiels avaient dû rester sur les quais faute de place, ce qui était fort dommage pour un support d’évangélisation populaire.
Le Mystery était un navire taillé pour la course ou, du moins, pour une navigation rapide. Mais le travail essentiel du bateau d’évangélisation s’effectuait à quai, où il ne manquait pas d’attirer l’attention, d’autant qu’il était accompagné d’une équipe chargée de distribuer des Évangiles et des invitations.

Du sud-Finistère

Le navire a été utilisé aussi bien dans les ports de la mer du Nord que ceux de la Manche, jusqu’à Brest. Les documents relatifs aux missions bretonnes du Mystery en 1885 n’ont pu être consultées, on sait simplement que le navire s’est rendu à Saint-Malo et à Brest où il a été bien accueilli. Du coup, la Mission des marins de Gosport a préparé une croisière plus importante en 1886, qui concernera également d’autres ports de la façade atlantique.
W. Jones reçoit pour un essai de quelques mois un « bateau évangélique », le Mystery, sur lequel on peut tenir des réunions. C’est à Douarnenez qu’il l’inaugure un dimanche après-midi : il y a 70 à 80 personnes, dont un certain nombre sont des amis protestants de Quimper. Le soir, se tient une assemblée de 160 à 170 personnes, et beaucoup plus sur le quai. Ce succès étonne les missionnaires. Le lendemain, c’est 170 à bord et environ 130 sur le quai qui viennent écouter le message de l’Évangile. Puis les auditoires diminuent un peu, la première curiosité étant satisfaite, et l’opposition commence à se réveiller. Le dimanche suivant, c’est une centaine d’auditeurs seulement qui viennent entendre la Bonne Nouvelle. « Il n’est pas surprenant que l’opposition devienne plus forte à mesure que nous avançons. Que Dieu soit loué ! Nous avons des raisons d’être joyeux et courageux. Il sera encore avec nous quand nous essaierons de parler de son Fils».
De Douarnenez, le Mystery passe ensuite un mois à Concarneau puis un mois à Quimper. Il y a partout de nombreux auditoires…

À Lorient, Saint-Nazaire, Nantes et La Rochelle

En 1886, le Mystery est prêté par Henry Cook. Le pasteur Kissel écrit : « À Lorient, le bateau missionnaire reçoit à nouveau un immense succès qui dépasse les prévisions des organisateurs. Pendant les trois semaines durant lesquelles le bateau a été retenu ici, la salle était chaque soir, par tous les temps, remplie d’une foule considérable près de quarante minutes avant l’heure, et bien plus de gens encore stationnaient le long du quai, attendant que quelqu’un sorte pour prendre sa place, ou s’efforçant d’entendre1 ».
Le fond de ce public se composait généralement des mêmes personnes. Certaines ne manquaient aucune réunion, ce qui supposait chez elles à la fois un grand goût et un grand zèle pour les choses religieuses. L’attitude du public était toujours parfaitement respectueuse et sympathique. Point de bruit, point de désordre, un grand silence pendant les allocutions et les prières. Des réunions pour les enfants avaient lieu aussi durant les après-midis qui étaient très suivies. Cent quarante personnes environ donneront leur adresse, exprimant le désir de rester en relation, ou souhaitant être invités à des conférences. Enfin, résultat peut-être plus remarquable encore, un certain nombre de ces gens, hommes et femmes, continueront à suivre les réunions religieuses, franchissant, le soir, trois ou quatre kilomètres, ou assisteront au culte du dimanche et achèteront des Nouveaux Testaments.

Et la suite

Il y avait donc certainement parmi cette population, en très grande majorité des gens de la ville même, ouvriers au port, boutiquiers, artisans, etc., un véritable besoin religieux, auquel cette tentative d’évangélisation a répondu. « Maintenant, dévons-nous en rester là ?, s’est interrogé Kissel. Évidemment non ! Voilà un public, — que nous ignorions dans une grande mesure — tout disposé à entendre l’Évangile, vis-à-vis duquel nous nous sommes nous-mêmes engagés en réveillant ainsi ses besoins religieux ; il est évident que nous ne pouvons pas l’abandonner à lui-même, nous devons nous intéresser à lui et achever l’œuvre si heureusement commencée. J’y suis tout disposé. J’ai justement, par suite de la séparation de Quimper, maintenant pourvu d’un pasteur, une soirée libre, celle du dimanche soir. Je suis tout disposé à la consacrer à cette nouvelle tâche2 ». Une nouvelle salle, grâce à un don spécial, sera dédiée à ce ministère.
À Nantes et Saint-Nazaire, le succès est analogue. Malgré les sérieuses craintes quant à l’accueil qui serait fait au bateau missionnaire à Nantes, elles furent toutes dissipées. M. Bisson écrivit : « La ville de Nantes toute entière a été émue par la présence du bateau ; tout le monde admirait l’ingéniosité et le zèle des protestants ».
À La Rochelle, M. Dürrleman3 n’a eu, lui aussi, qu’à se louer d’avoir désiré la visite du Mystery. « Que le Seigneur nous l’envoie encore l’année prochaine, et que tous les ports de France puissent être ainsi visité par ce messager de paix ! »

1 Extrait de l’ouvrage de Samuel Bourguet, William Jenkyn Jones, un pionnier de l’évangélisation.
2 Extrait du Rapport annuel de la Mission Populaire Évangélique, dite Mission Mac-All, 1886.
3 Frédéric Durrleman, futur fondateur de l’association de La Cause, alors en poste à la Mission populaire de La Rochelle.

Contact