Un appel à la prière

L’abbaye sur l’île d’Iona

C’est à l’occasion d’un stage de formation permanente des pasteurs qu’Agnès Lefranc, pasteure à Orléans, a découvert, en septembre dernier, l’Écosse. Le voyage était organisé conjointement par la CPLR, l’organe de formation commun à l’EPUdF (Église protestante unie de France) et à l’UEPAL (Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine) et l’Office protestant de formation, l’organe suisse. Vingt-six personnes étaient du voyage.

Le stage était intitulé « Iona, une île, une communauté ». Le but n’était donc pas d’abord de faire du tourisme, mais de partir à la découverte d’une communauté œcuménique installée dans une toute petite île à l’ouest du pays.

La naissance d’une communauté

L’histoire du lieu est assez fascinante : en 563, Columba, un moine irlandais, débarque sur cette île de cinq kilomètres sur deux avec douze compagnons. Il y fonde un monastère qui devient vite un lieu d’intense rayonnement spirituel et intellectuel. Malgré les attaques répétées des Vikings, l’abbaye connaît un réel développement jusqu’au XVe siècle. La Réforme met fin à cette aventure, et le lieu tombe en ruine.

En 1938, John Mac Leod, pasteur de l’Église presbytérienne d’Écosse à Glasgow, très engagé dans l’action sociale, lance un projet un peu fou : relever les bâtiments abbatiaux d’Iona. Il part donc avec douze compagnons : six jeunes ouvriers, et cinq étudiants en théologie. Ensemble, ils rebâtissent l’abbaye ; le jour, les ouvriers travaillent, et à la nuit tombée, tous se réunissent, et les étudiants en théologie nourrissent spirituellement leurs compagnons. L’aventure est tellement forte que lorsque le travail est achevé, personne n’a envie de repartir. La communauté œcuménique d’Iona est née.

L’abbaye sur l’île d’Iona © Agnès Lefranc

C’est à Glasgow que, tout naturellement, notre séjour commence, puisque c’est de là que l’aventure est partie. La communauté d’Iona y a un bâtiment avec bureaux et salles de réunion. C’est là que nous nous retrouvons pour une rencontre avec Kathy Gallaway, l’une des responsables de la communauté. Elle nous expose les points d’engagements des membres de la communauté : prière quotidienne et lecture de la Bible ; soutien mutuel et partage en petits groupes (avec une transparence sur la gestion du temps et de l’argent) ; participation aux rencontres de l’ensemble de la communauté ; engagement pour la justice et pour la paix.

Ce dernier point est très fort : la communauté d’Iona est notamment très investie dans la lutte contre l’armement nucléaire et pour réduire le commerce des armes. Elle soutient la cause de tous ceux qui sont exploités en Grande-Bretagne, s’engage politiquement dans le combat contre le racisme, et s’investit aussi pour la justice climatique. Nous posons quelques questions, et comprenons qu’il ne s’agit pas d’une communauté au sens strict, mais plutôt d’une communion de prière et d’action. La communauté compte 300 membres, 1 500 membres associés et 1 500 amis ; elle est présente au Royaume-Uni, en Suisse, aux Pays-Bas, au Canada…

© Agnès Lefranc

Un langage plus adapté

Le lendemain, nous rencontrons John Bell et Graham Maul, deux autres piliers de la communauté. Ensemble, ils ont fondé en 1983 un groupe de travail pour trouver un langage plus adapté à notre temps dans la liturgie et les chants. C’est le « Wild Goose Ressource Group », « Groupe de ressource de l’oie sauvage ». Dans la spiritualité celtique, l’oie sauvage symbolise le Saint-Esprit. La production de ce groupe est intense : chants, liturgies pour diverses occasions, prières pour le culte… Grâce au talent pédagogique de John, nous apprenons plusieurs chants, et vivons aussi une liturgie intitulée « God and her girls », « Dieu et ses filles », autour de la place des femmes dans le cœur de Dieu…

© Béatrice Perregaux Allison

Le troisième jour, nous montons dans le car, direction l’île d’Iona. Le moment tant attendu est arrivé ! Le voyage est épique : le ferry que nous devions prendre pour l’île de Mull est annulé. Le chauffeur propose un autre trajet, qui se révèle finalement impraticable : impossible de monter avec le car sur le (petit) ferry censé nous faire traverser un bras de mer ! Après bien des péripéties, le soleil se couche lorsque nous arrivons sur l’île d’Iona. Nous découvrons l’hôtel qui nous accueille pour ces trois jours sur l’île : un paradis ! Dans le salon, une immense baie vitrée donne sur la mer ; dans le salon attenant, un bon feu brûle dans la cheminée. L’accueil est chaleureux, les gens sont d’une gentillesse extrême… et les repas absolument délicieux !

Le lendemain, nous découvrons enfin l’abbaye. Le paysage est à couper le souffle, la lumière ne cesse de changer sous l’effet du vent… Le soleil et la pluie se succèdent, la mer change de couleur, passant du gris au bleu turquoise, puis au vert… Pour cette première journée sur l’île, les responsables nous donnent quartier libre : à chacun d’organiser son temps comme il l’entend. Après une visite avec audio guide en français de l’ensemble des bâtiments, je m’engage sur la route qui se dirige vers le nord de l’île, et bientôt, se transforme en chemin.

Une dimension œcuménique

Balade vers le nord de l’île © Agnès Lefranc

Dès qu’on s’éloigne un peu de l’abbaye, il n’y a plus personne, ce ne sont qu’étendues d’herbe, de sable et d’eau, parsemées de noirs rochers aux formes tourmentées. Quelques moutons dodus ici et là rappellent la présence humaine sur l’île. Dans ce décor, les oiseaux sont rois, et l’on a vraiment une impression de bout du monde. Je goûte la solitude et la force du vent… En fin de journée, nous avons rendez-vous dans la salle du chapitre avec Heintz, un pasteur allemand responsable de la communauté sur place. Il nous parle de ceux qui vivent là : essentiellement de jeunes volontaires, qui donnent du temps pour l’accueil des visiteurs, et s’engagent à participer aux trois offices quotidiens et aux repas communs. Nous posons des questions sur la dimension œcuménique de la communauté. Heintz nous en explique l’origine : en 1850, le duc d’Argan achète l’île et son abbaye, qui est en ruine. Il fait rebâtir l’église, puis fait don du lieu à la maison d’Écosse, à une condition : qu’il ne soit pas réservé à une seule confession. Les offices que nous vivons pendant notre séjour sont le reflet de cette réalité : on y retrouve la structure d’une prière monastique catholique, et la place centrale chère aux protestants de la parole biblique méditée et prêchée…

Le jour suivant, la météo nous fait un merveilleux cadeau : il fait grand beau temps, ce qui n’arrive pas très souvent ! De nouveau, nous avons quartier libre une partie de la journée. Je me joins à un groupe d’une dizaine de collègues qui se dirige à pied vers la Columba’s Bay, la crique où saint Columba a accosté en 563 avec ses compagnons. Là, dit la légende, après que l’abbaye a été bâtie, il se serait construit un cabanon où il venait se retirer quand il voulait être seul pour prier. Pour le retour, le groupe se sépare ; je m’engage avec une collègue suisse à travers les collines… la tourbière est gorgée d’eau, et nous nous enfonçons parfois jusqu’aux genoux !

De ce séjour, je garderai le souvenir de ces paysages à couper le souffle et cet appel, qui depuis l’origine des temps travaille les humains, et me rejoint, moi aussi, dans mon ministère : appel à la prière, appel à faire retraite, à faire silence, à écouter, à contempler…

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